C'était curieux : l'obscurité qui l'entourait n'était pas l'obscurité immobile, immatérielle, négative, à laquelle on est habitué. Elle lui rappelait plutôt l'obscurité presque palpable de certains de ses cauchemars d'enfant, une obscurité méchante qui, certaines nuits, l'attaquait par vagues ou essayait de l'étouffer.
Vous pouvez vous détendre.
Mais il ne pouvait pas encore remuer. Respirer seulement, ce qui était déjà un soulagement. Son dos était appuyé à une cloison lisse dont il n'aurait pu déterminer la matière et, contre sa poitrine nue, pesait l'écran dont la luminosité permettait de deviner le visage du docteur. Peut-être était-ce à cause de cette lueur que l'obscurité environnante semblait faite de nuages mous et enveloppants oe Pourquoi l'obligeait-on à rester si longtemps dans une pose inconfortable, sans rien lui dire ? Tout à l'heure, sur le divan de cuir noir, dans le cabinet de consultation, il gardait sa liberté d'esprit, parlait de sa vraie voix, sa grosse voix bourrue de la scène et de la ville, s'amusait à observer Biguet, le fameux Biguet qui avait soigné et soignait encore la plupart des personnages illustres.
Les Vacances de Maigret Alors que le couple Maigret se repose quelques jours aux Sables-d'Olonne, Mme Maigret est victime d'une crise d'appendicite. A l'hôpital où elle est soignée, une religieuse implore le commissaire de s'intéresser à « la malade du 15 ».
Dans quelles circonstances cette jeune femme est-elle tombée de la voiture que conduisait son beau-frère, le Dr Philippe Bellamy ? Pourquoi ce dernier semble-t-il faire si peur à la jeune Lucile Duffieux, une gamine de quatorze ans qui sera assassinée peu après ? Qu'est devenu Emile, son frère aîné, parti pour Paris où il n'est jamais arrivé oe Et Maigret d'oublier ses vacances. Entre deux visites à l'hôpital, il va percer à jour une de ces passions morbides qui peuvent naître au sein d'une vie en apparence aussi calme et équilibrée que celle du Dr Bellamy...
Maigret chez le ministre oe Tu as bien dîné ?
La lumière, dans leur appartement, était plus chaude, plus intime quoeau bureau. Il voyait les journaux préparés à côté de son fauteuil, ses pantoufles.
Oe J'ai dîné avec le chef, Lucas et Janvier, à la Brasserie Dauphine.
Après quoi tous les quatre s?étaient rendus à loeassemblée de la Mutuelle de la Police. Depuis trois ans, Maigret, à son corps défendant, en était chaque fois élu vice-président.
Oe Tu as le temps de boire une tasse de café. Enlève quand même ton pardessus. Joeai dit que tu ne rentrerais pas avant onze heures.
Il était dix heures et demie. La séance noeavait pas été longue. Ils avaient eu le temps, à quelques-uns, de prendre un demi dans une brasserie et Maigret était revenu en métro.
Oe Qui a téléphoné ?
Oe Un ministre.
Maigret et les braves gens Au lieu de grogner en cherchant loeappareil à tâtons dans loeobscurité comme il en avait loehabitude quand le téléphone sonnait au milieu de la nuit, Maigret poussa un soupir de soulagement.
Déjà il ne se souvenait plus nettement du rêve auquel il était arraché, mais il savait que c?était un rêve désagréable : il tentait doeexpliquer à quelquoeun doeimportant, dont il ne voyait pas le visage et qui était très mécontent de lui, que ce n?était pas sa faute, quoeil fallait montrer de la patience à son égard, quelques jours de patience seulement, parce quoeil avait perdu loehabitude et quoeil se sentait mou, mal dans sa peau. Quoeon lui fasse confiance et ce ne serait pas long. Surtout, quoeon ne le regarde pas doeun air réprobateur ou ironique?
La Danseuse du Gai-Moulin - Qui est-ce ?.
- Je ne sais pas ! C'est la première fois qu'il vient, dit Adèle en exhalant la fumée de sa cigarette.
Et elle décroisa paresseusement les jambes, tapota ses cheveux sur les tempes, plongea le regard dans un des miroirs tapissant la salle pour s'assurer que son maquillage n'était pas défait.
Elle était assise sur une banquette de velours grenat, en face d'une table supportant trois verres de porto. Elle avait un jeune homme à sa gauche, un jeune homme à droite.
- Vous permettez, mes petits ?.
Elle leur adressa un sourire gentil, confidentiel, se leva et, balançant les hanches, traversa la salle pour s'approcher de la table du nouvel arrivant.
Les quatre musiciens du jour, sur un signe du patron, ajoutaient leur voix à celle des instruments. Un seul couple dansait : une femme attachée à la maison et le danseur professionnel.
Maigret à l'école Il y a des images qu'on enregistre inconsciemment, avec la minutie d'un appareil photographique, et il arrive que, plus tard, quand on les retrouve dans sa mémoire, on se creuse la tête pour savoir où on les a vues.
Maigret ne se rendait plus compte, après tant d'années, qu'en arrivant, toujours un peu essoufflé, au sommet de l'escalier dur et poussiéreux de la P. J. il marquait un léger temps d'arrêt et que, machinalement, son regard allait vers la cage vitrée qui servait de salle d'attente et que certains appelaient l'aquarium, d'autres le Purgatoire. Peut-être en faisaient-ils tous autant et était-ce devenu une sorte de tic professionnel oe Même quand, comme ce matin-là, un soleil clair et léger, qui avait la gaieté du muguet, brillait sur Paris et faisait briller les pots roses des cheminées sur les toits, une lampe restait allumée toute la journée dans le Purgatoire, qui n'avait pas de fenêtre et ne recevait le jour que de l'immense corridor.
Le Fou de Bergerac Hasard sur toute la ligne ! La veille, Maigret ne savait pas qu'il allait entreprendre un voyage. C'était pourtant la saison où Paris commençait à lui peser : un mois de mars épicé d'un avant-goût de printemps, avec un soleil clair, pointu, déjà tiède.
Mme Maigret était en Alsace pour une quinzaine de jours, auprès de sa soeur qui attendait un bébé.
Or, le mercredi matin, le commissaire recevait une lettre d'un collègue de la Police Judiciaire qui avait pris sa retraite deux ans plus tôt et qui s'était installé en Dordogne.
. Surtout, si un bon vent t'amène dans la région, ne manque pas de venir passer quelques jours chez moi. J'ai une vieille servante qui n'est contente que quand il y a du monde à la maison. Et la saison du saumon commence.
Quand Maigret descendit du train, en gare de Givet, la première personne qu'il vit, juste en face de son compartiment, fut Anna Peeters. à croire qu'elle avait prévu qu'il s'arrêterait à cet endroit du quai exactement ! Elle n'en paraissait pas étonnée, ni fière. Elle était telle qu'il l'avait vue à Paris, telle qu'elle devait être toujours, vêtue d'un tailleur gris fer, les pieds chaussés de noir, chapeautée de telle sorte qu'il était impossible de se souvenir ensuite de la forme ou même de la couleur de son chapeau.
La Nuit du carrefour Quand Maigret, avec un soupir de lassitude, écarta sa chaise du bureau auquel il était accoudé, il y avait exactement dix-sept heures que durait l'interrogatoire de Carl Andersen.
On avait vu tour à tour, par les fenêtres sans rideaux, la foule des midinettes et des employés prendre d'assaut, à l'heure de midi, les crémeries de la place Saint-Michel, puis l'animation faiblir, la ruée de six heures vers les métros et les gares, la flânerie de l'apéritif.
La Seine s'était enveloppée de buée. Un dernier remorqueur était passé, avec feux verts et rouges, traînant trois péniches. Dernier autobus. Dernier métro. Le cinéma dont on fermait les grilles après avoir rentré les panneaux-réclame.
Et le poêle qui semblait ronfler plus fort dans le bureau de Maigret. Sur la table, il y avait des demis vides, des restes de sandwiches.
Que c'est le meilleur petit-gars du pays et que sa maman, qui n'a que lui, est capable d'en mourir. J'ai la certitude, comme tout le monde ici, qu'il est innocent. Mais les marins à qui j'en ai parlé prétendent qu'il sera condamné parce que les tribunaux civils n'ont jamais rien compris` aux choses de la mer...
« Fais tout ce que tu pourras, comme si c'était pour toi-même... J'ai appris par les journaux que tu es devenu une haute personnalité de la Police judiciaire... » C'était un matin de juin ; Mme Maigret, dans l'appartement du boulevard Richard-Lenoir, dont toutes les fenêtres étaient ouvertes, achevait de bourrer de grandes malles d'osier, et Maigret, sans faux coI, lisait à mi-voix.
« De qui est-ce ?
- Jorissen... Nous avons été à l'école ensemble... Il est devenu instituteur à Quimper... Dis donc, tu tiens beaucoup à ce que nous passions nos huit jours de vacances en Alsace ?...
L'Ecluse no1
Quand on observe des poissons à travers une couche d'eau qui interdit entre eux et nous tout contact, on les voit rester longtemps immobiles, sans raison, puis d'un frémissement de nageoires aller un peu plus loin pour n'y rien faire qu'attendre à nouveau.
C'est dans le même calme, comme sans raison aussi, que le tramway 13, le dernier « Bastille-Créteil », traîna ses lumières jaunâtres tout le long du quai des Carrières. Au coin d'une rue, près d'un bec de gaz vert, il fit mine de s'arrêter, mais le receveur agita sa sonnette et le convoi fonça vers Charenton.
Derrière lui, le quai restait vide et stagnant comme un paysage du fond de l'eau. A droite, des péniches flottaient sur le canal, avec de la lune tout autour. Un filet d'eau se faufilait par une vanne mal fermée de l'écluse, et c'était le seul bruit sous le ciel encore plus quiet et plus profond qu'un lac.
Ce matin-là, sur la plate-forme de l'autobus, un voleur a subtilisé le portefeuille de Maigret. L'aventure ne serait que vexante si, dès le lendemain, après lui avoir renvoyé par la poste l'objet du larcin, « son » voleur ne téléphonait au commissaire... pour lui demander son aide, après l'assassinat de sa femme, assassinat dont il craint d'être accusé.
Voici donc Maigret découvrant l'existence de ce François Ricain et, autour de celui-ci, d'un milieu artistique où l'ambition semble corrompre assez vite les âmes. Bientôt, il apparaît que la belle Sophie Ricain n'était pas un parangon de fidélité. Mais, surtout, Maigret se prend d'un intérêt croissant pour François Ricain : un homme étrange, intelligent, mais prétentieux, et peut-être humilié par la vie...
Et puis, un homme comme lui vole-t-il des portefeuilles ?
Monsieur Gallet, décédé La toute première prise de contact entre le commissaire Maigret et la mort, avec qui il allait vivre des semaines durant dans la plus déroutante des intimités, eut lieu le 27 juin 1930 en des circonstances à la fois banales, pénibles et inoubliables.
Inoubliables surtout parce que, depuis une semaine, la Police Judiciaire recevait note sur note annonçant le passage à Paris du roi d'Espagne pour le 27 et rappelant les mesures à prendre en pareil cas.
Or, le directeur de la P.J. était à Prague, où il assistait à un congrès de police scientifique. Le sous-directeur avait été appelé dans sa villa de la côte normande par la maladie d'un de ses gosses.
Maigret était le plus ancien des commissaires et devait s'occuper de tout, par une chaleur suffocante, avec des effectifs que les vacances réduisaient au strict minimum.
Ce fut encore le 27 juin au petit jour qu'on découvrit, rue Picpus, une mercière assassinée.
Bref, à neuf heures du matin, tous les inspecteurs disponibles étaient partis pour la gare du Bois-de-Boulogne, où on attendait le souverain espagnol.
Maigret avait fait ouvrir portes et fenêtres et, sous l'action des courants d'air, les portes claquaient, les papiers s'envolaient des tables.
A neuf heures et quelques minutes arrivait un télégramme de Nevers :
Emile Gallet, voyageur de commerce, domicilié à Saint-Fargeau, Seine-et-Marne, assassiné nuit du 25 au 26, Hôtel de la Loire à Sancerre. Nombreux détails étranges. Prière prévenir famille pour reconnaissance cadavre. Si possible envoyer inspecteur de Paris.
"- Vous étiez sur le seuil de votre établissement ?
- Oui, mon commissaire.
C'était inutile de le reprendre. Quatre ou cinq fois, Maigret avait essayé de lui faire dire « monsieur le commissaire ». Quelle importance cela avait-il ? Quelle importance avait tout ceci ?
- Une voiture grise, de grand sport, s'est arrêtée un instant et un homme en est descendu, presque en voltige, c'est bien ce que vous avez déclaré ?
- Oui, mon commissaire.
- Pour entrer dans votre boîte, il a dû passer tout contre vous et il vous a même légèrement bousculé. Or, au-dessus de la porte, il existe une enseigne lumineuse au néon.
- Elle est violette, mon commissaire.
- Et alors ?
- Alors rien.
- C'est parce que votre enseigne est violette que vous êtes incapable de reconnaître l'individu qui, un instant plus tard, écartant la portière de velours, a vidé son revolver sur votre barman ? "
>Une confidence de Maigret L'affaire, au départ, semblait banale. Adrien Josset avait connu une belle réussite sociale. Il avait une jeune maîtresse. Il n'en fallait pas plus pour faire de lui, après l'assassinat de son épouse, le suspect numéro un... D'autres éléments, surgissant au fil de l'enquête, allaient non seulement accroître les soupçons, mais en outre le rendre odieux à l'opinion publique. Et aux jurés.
Des années plus tard, Maigret raconte à son ami, le Dr Pardon, cet épisode qui continue à le troubler. Jamais il n'y a eu de preuves, ni d'aveux. Et jamais il n'est parvenu à se convaincre de la culpabilité de Josset...
Il n'y a pas que des triomphes dans la carrière du commissaire Maigret. Des doutes, aussi. Mais qu'y peut-on ? Certaines existences et certains drames gardent définitivement leur secret.
Il y eut un vacarme pas loin de sa tête et Maigret se mit à remuer, maussade, comme effrayé, un de ses bras battant l'air en dehors des draps. Il avait conscience d'être dans son lit, conscience aussi de la présence de sa femme qui, mieux éveillée que lui, attendait dans l'obscurité sans rien oser dire.
Sur quoi il se trompait - pendant quelques secondes tout au moins - c'était sur la nature de ce bruit insistant, agressif, impérieux. Et c'était toujours en hiver, par temps très froid, qu'il se trompait de la sorte.