Filtrer
Support
Éditeurs
Gallimard
-
Peut-être avons-nous honte aujourd'hui de nos prisons. Le XIX? siècle, lui, était fier des forteresses qu'il construisait aux limites et parfois au coeur des villes. Elles figuraient toute une entreprise d'orthopédie sociale. Ceux qui volent, on les emprisonne; ceux qui violent, on les emprisonne; ceux qui tuent, également. D'où vient cette étrange pratique et le curieux projet d'enfermer pour redresser? Un vieil héritage des cachots du Moyen Âge? Plutôt une technologie nouvelle:la mise au point, du XVI? au XIX? siècle, de tout un ensemble de procédures pour quadriller, contrôler, mesurer, dresser les individus, les rendre à la fois «dociles et utiles». Surveillance, exercices, manoeuvres, notations, rangs et places, classements, examens, enregistrements, toute une manière d'assujettir les corps, de maîtriser les multiplicités humaines et de manipuler leurs forces s'est développée au cours des siècles classiques, dans les hôpitaux, à l'armée, dans les écoles, les collèges ou les ateliers:la discipline. Penser les relations de pouvoir aujourd'hui ne peut se faire sans prendre en compte l'ouvrage de Michel Foucault (1926-1984), devenu aussi indispensable à notre époque que le Léviathan de Hobbes le fut à l'époque moderne.
-
Les sciences humaines d'aujourd'hui sont plus que du domaine du savoir : déjà des pratiques, déjà des institutions. Michel Foucault analyse leur apparition, leurs liens réciproques et la philosophie qui les supporte. C'est tout récemment que l'«homme» a fait son apparition dans notre savoir. Erreur de croire qu'il était objet de curiosité depuis des millénaires : il est né d'une mutation de notre culture. Cette mutation, Michel Foucault l'étudie, à partir du XVII? siècle, dans les trois domaines où le langage classique - qui s'identifiait au Discours - avait le privilège de pouvoir représenter l'ordre des choses : grammaire générale, analyse des richesses, histoire naturelle. Au début du XIX? siècle, une philologie se constitue, une biologie également, une économie politique. Les choses y obéissent aux lois de leur propre devenir et non plus à celles de la représentation. Le règne du Discours s'achève et, à la place qu'il laisse vide, l'«homme» apparaît - un homme qui parle, vit, travaille, et devient ainsi objet d'un savoir possible.Il ne s'agit pas là d'une «histoire» des sciences humaines, mais d'une archéologie de ce qui nous est contemporain. Et d'une conscience critique : car le jour, prochain peut-être, où ces conditions changeront derechef, l'«homme» disparaîtra, libérant la possibilité d'une pensée nouvelle.
-
«Quand l'homme en est réduit à l'extrême dénuement du besoin, quand il devient celui qui mange les épluchures, l'on s'aperçoit qu'il est réduit à lui-même, et l'homme se découvre comme celui qui n'a besoin de rien d'autre que le besoin pour, niant ce qui le nie, maintenir le rapport humain dans sa primauté. Il faut ajouter que le besoin alors change, qu'il se radicalise au sens propre, qu'il n'est plus qu'un besoin aride, sans jouissance, sans contenu, qu'il est rapport nu à la vie nue et que le pain que l'on mange répond immédiatement à l'exigence du besoin, de même que le besoin est immédiatement le besoin de vivre. Levinas, dans diverses analyses, a montré que le besoin était toujours en même temps jouissance. Mais ce que nous rencontrons maintenant dans l'expérience d'Antelme qui fut celle de l'homme réduit à l'irréductible, c'est le besoin radical, qui ne me rapporte plus à moi-même, à la satisfaction de moi-même, mais à l'existence humaine pure et simple, vécue comme manque au niveau du besoin. Et sans doute s'agit-il encore d'une sorte d'égoïsme, et même du plus terrible égoïsme, mais d'un égoïsme sans ego, où l'homme, acharné à survivre, attaché d'une manière qu'il faut dire abjecte à vivre et à toujours vivre, porte cet attachement comme l'attachement impersonnel à la vie, et porte ce besoin comme le besoin qui n'est plus le sien propre, mais le besoin vide et neutre en quelque sorte, ainsi virtuellement celui de tous. Vivre, dit-il à peu près, c'est alors tout le sacré. » Maurice Blanchot.
-
L'être et le néant ; essai d'ontologie phénoménologique
Jean-Paul Sartre
- Gallimard
- Tel
- 23 Avril 1976
- 9782070293889
«L'être ne saurait engendrer que l'être et, si l'homme est englobé dans ce processus de génération, il ne sortira de lui que de l'être. S'il doit pouvoir interroger sur ce processus, c'est-à-dire le mettre en question, il faut qu'il puisse le tenir sous sa vue comme un ensemble, c'est-à-dire se mettre lui-même en dehors de l'être et du même coup affaiblir la structure d'être de l'être. Toutefois il n'est pas donné à la réalité humaine d'anéantir, même provisoirement, la masse d'être qui est posée en face d'elle. Ce qu'elle peut modifier, c'est son rapport avec cet être. Pour elle, mettre hors de circuit un existant particulier, c'est se mettre elle-même hors de circuit par rapport à cet existant. En ce cas elle lui échappe, elle est hors d'atteinte, il ne saurait agir sur elle, elle s'est retirée par-delà un néant. Cette possibilité pour la réalité humaine de sécréter un néant qui l'isole, Descartes, après les Stoïciens, lui a donné un nom : c'est la liberté.» Jean-Paul Sartre.
-
« C'est, en principe, une histoire de la folie qu'on enferme, du Moyen Âge au XIXe siècle ; c'est, plus profondément, à travers l'étude de cette structure qu'est l'internement, une tentative pour établir un dialogue entre folie et déraison ; c'est enfin une esquisse de ce que pourrait être "une histoire des limites - de ces gestes obscurs, nécessairement oubliés dès qu'accomplis, par lesquels une culture rejette quelque chose qui sera pour elle l'Extérieur. » Maurice Blanchot.
-
Dans cet essai, Jean Baudrillard promène un oeil critique sur les artefacts du monde contemporain. Des parcs d'attractions californiens et de leur promesse de ressusciter l'enfance au Forum des Halles parisien, «sarcophage de la marchandise», en passant par des prouesses biotechnologiques comme le clonage, l'auteur questionne notre rapport à la reproduction tous azimuts des images et des choses. Il entrevoit alors un nouveau régime des simulacres dans lequel le réel n'a pas fini d'être aboli. «Cette course au réel et à l'hallucination réaliste est sans issue car, quand un objet est exactement semblable à un autre, il ne l'est pas exactement, il l'est un peu plus. Il n'y a jamais de similitude, pas plus qu'il n'y a d'exactitude. Ce qui est exact est déjà trop exact, seul est exact ce qui s'approche de la vérité sans y prétendre».
-
Histoire de la sexualité Tome 1 ; la volonté de savoir
Michel Foucault
- Gallimard
- Tel
- 3 Novembre 1994
- 9782070740703
Nommé au Collège de France, Michel Foucault a entrepris, durant la fin des années soixante-dix, un cycle de cours consacré à la place de la sexualité dans la culture occidentale : l'Histoire de la sexualité, articulée en trois volumes (La volonté de savoir, L'usage des plaisirs et Le souci de soi). Il y prolonge les recherches entreprises avec L'archéologie du savoir et Surveiller et punir, mais en concentrant ses analyses sur la constellation de phénomènes que nous désignons par le «sexe» et la sexualité. L'axe de cette entreprise n'est pas de s'ériger contre une «répression» de la sexualité afin de la «libérer», mais de montrer comment la vie sexuelle a enclenché une volonté systématique de tout savoir sur le sexe qui s'est systématisée en une «science de la sexualité», laquelle, à son tour, ouvre la voie à une administration de la vie sexuelle sociale, de plus en plus présente dans notre existence. Foucault fait ainsi l'archéologie des discours sur la sexualité (littérature érotique, pratique de la confession, médecine, anthropologie, psychanalyse, théorie politique, droit, etc.) depuis le XVIIe siècle et, surtout, au XIXe, dont nous héritons jusque dans les postures récentes de «libération sexuelle», l'attitude de censure et celle d'affranchissement se rencontrant finalement dans le même type de présupposé : le sexe serait cause de tous les phénomènes de notre vie comme il commanderait l'ensemble de l'existence sociale.
-
«La politique révolutionnaire se donnait pour but prochain la synthèse. On allait voir paraître dans les faits la dialectique. La révolution, c'était le point sublime où le réel et les valeurs, le sujet et l'objet, le jugement et la discipline, l'individu et la totalité, le présent et l'avenir, au lieu d'entrer en collision, devaient peu à peu entrer en connivence. Le pouvoir du prolétariat était la nouveauté absolue d'une société qui se critique elle-même et qui élimine de soi les contradictions par un travail historique infini [...]. Que reste-t-il de ces espoirs ? Ce n'est pas tellement qu'ils aient été déçus et la révolution trahie : c'est plutôt qu'elle s'est trouvée chargée d'autres tâches, que le marxisme supposait accomplies [...]. Dès 1917, contre la philosophie synthétique du marxisme de langue allemande se dessine en Russie un marxisme des antithèses dont les livres philosophiques de Lénine sont le modèle. Et cette persistance des antinomies dans la philosophie communiste reflète leur persistance dans l'action. Il est significatif que Sartre fonde maintenant sa défense de la politique communiste sur les antinomies que la révolution éliminait, et justifie relativement le communisme comme un effort tout volontaire pour passer outre, détruire et recréer l'histoire quand Marx le comprenait aussi comme la réalisation de l'histoire.» Maurice Merleau-Ponty.
-
Immense texte bref de la tradition philosophique, rédigé peut-être lors du second séjour d'Aristote à Athènes, entre 335 et 323 avant J.-C., la Poétique a laissé, dans l'histoire de l'art occidental, une trace profonde. C'est la première définition spécifique de la «poésie» et de l'«art» (technè). La poïèsis est une «imitation» (mimèsis) ou un «mime», qui ne reproduit pas une réalité préalable ; si bien que le poème «ne s'intéresse pas à ce qui est, mais à ce qui peut être.» Le traité aristotélicien décrit plus qu'il ne prescrit. Aristote se préoccupe essentiellement d'expliquer ce qui fait que telle oeuvre singulière est une oeuvre d'art. S'il a transmis quelques concepts bientôt devenus d'authentiques poncifs (comme la catharsis), s'il a été déformé régulièrement et de manière toujours intéressante, ce texte unique et inaugural présente surtout deux grandes modalités du poétique : le drame et le récit, dont les deux formes sont le poème tragique et le poème épique.
-
Pour les nazis, la «culture» était à l'origine la simple transcription de la nature : on révérait les arbres et les cours d'eau, on s'accouplait, se nourrissait et se battait comme tous les autres animaux, on défendait sa horde et elle seule. La dénaturation est intervenue quand les Sémites se sont installés en Grèce, quand l'évangélisation a introduit le judéo-christianisme, puis quand la Révolution française a parachevé ces constructions idéologiques absurdes que sont l'égalité, la compassion ou l'abstraction du droit. Pour sauver la race nordique-germanique, il fallait opérer une «révolution culturelle», retrouver le mode d'être des Anciens et faire à nouveau coïncider culture et nature. C'est en refondant ainsi le droit et la morale que l'homme germanique a cru pouvoir agir conformément à ce que commandait sa survie. Grâce à la révision générale des normes et à la réécriture de l'histoire de l'Occident, il devenait licite, moral et prescrit de frapper et de tuer.
-
Devant l'ampleur et le caractère inédit des crimes nazis - qu'ils soient collectifs ou individuels -, les historiens butent sur leur causalité profonde, qui reste obscure. Ces comportements monstrueux s'appuient pourtant sur des fondements normatifs et un argumentaire juridique qu'il faut prendre au sérieux. C'est ce que fait ici Johann Chapoutot dans un travail de grande ampleur qui analyse comment les philosophes, juristes, historiens, médecins ont élaboré les théories qui faisaient de la race le fondement du droit et de la loi du sang la loi de la nature qui justifiait tout : la procréation, l'extermination, la domination.
Une profonde intimité avec une immense littérature publique ou privée - correspondances, journaux intimes -, avec la science et le cinéma du temps, rend sensible la manière dont les acteurs se sont approprié ces normes qui donnent un sens et une justification à leurs manières d'agir. Comment tuer un enfant au bord de la fosse peut relever de la bravoure militaire face à l'ennemi biologique. Si le métier d'historien consiste à comprendre et non à juger, ou à mieux comprendre pour mieux juger, ce livre jette une lumière neuve et originale sur le phénomène nazi.
-
Histoire de la sexualité Tome 2 ; l'usage des plaisirs
Michel Foucault
- Gallimard
- Tel
- 23 Janvier 1997
- 9782070746736
Dans ce deuxième volume, Foucault poursuit son enquête historique sur les sources de notre sexualité occidentale. Il a dû infléchir son projet initial pour s'intéresser aux sources antiques, grecques et surtout romaines.La recherche se développe selon tous les aspects concernés par la sexualité et prend ainsi les dimensions d'une anthropologie générale du plaisir. Foucault ne néglige pas non plus l'économie de la sexualité et son inscription dans un cadre social et juridique, et il étudie le statut du mariage, ainsi que l'organisation des foyers. Enfin, l'ouvrage se conclut sur un traité d'érotique et une réflexion sur ce que serait l'amour véritable.
-
Histoire de la sexualité Tome 3 ; le souci de soi
Michel Foucault
- Gallimard
- Tel
- 23 Janvier 1997
- 9782070746743
Le troisième et dernier volume de l'histoire de la sexualité est consacré à la formation de l'individu telle qu'elle a été développée à travers des textes souvent peu analysés - Artémidore, Galien, le Pseudo-Lucien -, mais déterminants dans la mise en place d'une finalité générale de la culture qui culmine dans l'émergence d'une personnalité singulière, capable de faire le meilleur usage de son corps et de son esprit harmonieusement éduqué pour le rendre à même d'assumer les fonctions politiques auxquelles il est d'emblée destiné. La formation du corps, la perspective du mariage, les relations avec la femme comme celles avec les autres garçons, les représentations du plaisir s'inscrivent toutes à l'horizon politique et culturel de la Cité, et toutes se confrontent à l'idéal de la vie bonne.
-
De toute l'oeuvre de Max Weber, L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme est sans doute l'ouvrage le plus cité et le plus commenté. Est-ce pour autant que ce «classique» de la sociologie est lu et travaillé pour ce qu'il est, soit une contribution fondamentale à l'analyse de la genèse du capitalisme moderne ?En proposant au lecteur francophone une édition scientifique de cette étude, qui rassemble, en outre, une série de textes jusque-là inédits en français et propres à en expliciter le sens - les «Anticritiques», dans lesquelles Weber répond longuement aux objections qui lui avaient été faites, mais aussi la première version de l'étude sur les sectes protestantes américaines - et cela dans une traduction qui se veut scrupuleusement attentive à la richesse et à la subtilité de l'analyse wébérienne, Jean-Pierre Grossein donne la possibilité d'une lecture nouvelle de ce grand texte, lequel peut encore nous aider à approcher les questions les plus vitales qui travaillent nos sociétés contemporaines. Un appareil critique important et une présentation à la fois historique et analytique font de cette édition l'indispensable outil de travail pour accéder à une oeuvre aujourd'hui «canonique».
-
Récoltes et semailles I, II : réflexions et témoignage sur un passé de mathématicien
Alexandre Grothendieck
- Gallimard
- Tel
- 2 Mars 2023
- 9782073004833
Considéré comme le génie des mathématiques de la seconde moitié du XX? siècle, Alexandre Grothendieck est l'auteur de Récoltes et semailles, une sorte de «monstre» de plus de mille pages, selon ses propres termes. Le tapuscrit mythique, qui s'ouvre sur une critique acerbe de l'éthique des mathématiciens, emmènera le lecteur jusque dans les territoires intimes d'une expérience spirituelle après l'avoir initié à l'écologie radicale. Dans cette tresse littéraire s'entremêlent plusieurs récits, «un voyage à la découverte d'un passé ; une méditation sur l'existence ; un tableau de moeurs d'un milieu et d'une époque (ou le tableau du glissement insidieux et implacable d'une époque à une autre...) ; une enquête (quasiment policière par moments, et en d'autres frisant le roman de cape et d'épée dans les basfonds de la mégapolis mathématique...) ; une vaste divagation mathématique (qui en sèmera plus d'un...) ; [...] un journal intime ; une psychologie de la découverte et de la création ; un réquisitoire (impitoyable, comme il se doit...), voire un règlement de comptes dans "le beau monde mathématique" (et sans faire de cadeaux...)».
-
Le traité de L'Homme a été rédigé par Descartes au début des années 1630, à la même époque que Le Monde ou Traité de la lumière dont il devait former le dernier chapitre. Resté lui aussi inachevé, il ne sera publié en français qu'en 1664, quatorze ans après la mort du philosophe. L'Homme entreprend d'expliquer les diverses fonctions du corps humain de manière purement mécanique, sans faire appel à aucune âme ni à aucun « principe de vie » autre que la «chaleur du coeur». Venant après la découverte de la circulation du sang par William Harvey, cette description de la «machine du corps humain», de sa structure et de son fonctionnement a connu en philosophie comme en médecine un immense retentissement. Ce volume adjoint à L'Homme l'ensemble des écrits posthumes de Descartes sur le corps humain et sur le vivant, dont un autre important traité inachevé, La Description du corps humain (1648). Certains de ces textes - fragments sur la génération des animaux et comptes rendus d'observations anatomiques - sont inédits en français. Tous sont présentés avec une riche annotation qui éclaire la place de l'auteur dans l'histoire des sciences du vivant. Ils révèlent un Descartes presque inconnu, grand expérimentateur, très instruit des travaux de ses prédécesseurs et soucieux des moindres détails de la physiologie animale et humaine, avec pour horizon la construction d'une médecine réellement efficace.
-
Qu'appelle-t-on philosopher ? l'atelier d'Hannah Arendt
Pierre Bouretz
- Gallimard
- Tel
- 14 Septembre 2023
- 9782073028938
La philosophie se pose souvent à elle-même la question de sa définition. Mais nous ne savons rien, ou presque, de ses manières de faire. Les philosophes aiment à cacher les pistes, tenir secrètes les hésitations et gommer les ratures. Et nous sommes moins curieux des documents de leur travail que de ceux des écrivains, car, à nos yeux, journaux, brouillons ou correspondances sont déjà de la littérature, pas encore de la philosophie. Il est bien sûr quelques exceptions, tels les fragments posthumes de Nietzsche, le dossier du Livre des passages de Benjamin, les carnets de Wittgenstein... Le Journal de pensée d'Hannah Arendt offre de quoi surprendre quiconque est familier de son oeuvre comme le lecteur en quête d'une réponse à la question : qu'appelle-t-on philosopher ? Il illustre admirablement une pratique, un style, un ethos de la pensée.
-
La Grande Transformation est un bel exemple de ce qu'on appelle un « classique contemporain ». À sa parution en 1983, l'ouvrage est lu et reçu comme une étude d'an thropologie. Vingt ans après, c'est désormais LA référence de tous les courants qui souhaitent penser une alternative au libéralisme économique.
-
On l'oublie trop souvent : Descartes s'est d'abord voulu physicien. Le Monde ou Traité de la lumière est le grand livre qu'il a préparé dès le début des années 1630 et qu'il renonce à publier en 1633 après la condamnation de Galilée. Faute de pouvoir «donner [son] Monde au monde», puisque la Terre y tourne autour du Soleil, il en livrera un aperçu en 1637 dans le Discours de la méthode, et publiera en 1644, dans ses Principia philosophiæ (Les Principes de la philosophie, 1647), un exposé de physique présenté différemment. Rédigé directement en français, Le Monde est un traité d'une audace extraordinaire. Considérant d'abord les sensations et les trois éléments constituant la matière, il propose ensuite la «fable» d'un «chaos» initial qui s'ordonne peu à peu, d'après trois «lois de la nature» seulement, jusqu'à former «un monde semblable au nôtre». Le traité, inachevé, devait se terminer avec L'Homme. Les deux textes ne seront publiés qu'en 1664, quatorze ans après la mort de leur auteur. Le Monde ou Traité de la lumière est ici présenté avec une riche introduction et un important appareil critique, éclairant en particulier sa place dans l'oeuvre de Descartes ainsi que dans l'histoire des sciences.
-
S'il a été l'incarnation, peut-être sans équivalent, de la puissance de la volonté, Napoléon - qui aimait tant se comparer aux grands modèles du passé, d'Alexandre à Charlemagne - fut aussi éminemment moderne. Symbole de l'individu sans ancêtres, né de lui-même, arrivant au faîte de la grandeur et de la gloire par son génie, il a été son propre chef-d'oeuvre, un héros au sens fort du terme dans un monde marqué par la croyance à «des possibilités indéfinies».Jacques Bainville admirait sincèrement l'artiste incomparable, mais il était aussi convaincu que «sauf pour la gloire, sauf pour l'art, il eût probablement mieux valu qu'il n'eût pas existé» Car l'histoire de Napoléon est aussi une tragédie, individuelle et collective, la volonté se brisant, pour finir, contre la force des choses.Concise, d'un rythme rapide, accordé au sujet, cette biographie, parue en 1931, est rapidement devenue un classique après avoir été un grand succès d'édition.
-
Le tractatus logico-philosophicus de ludwig wittgenstein, qu'il se trouve ou non donner la vérité dernière sur les matières qu'il traite, mérite certainement, par son ampleur, son étendue et sa profondeur, d'être considéré comme un événement, important dans le monde philosophique.
Débutant à partir des principes du symbolisme et des rapports qui sont nécessaires entre les mots et les choses dans tout langage, il applique le résultat de ses recherches aux différents domaines de la philosophie traditionnelle, montrant dans chaque cas comment la philosophie traditionnelle et les solutions traditionnelles naissent de l'ignorance des principes du symbolisme et du mauvais usage du langage.
La structure logique des propositions et la nature de l'inférence logique sont d'abord traitées. ensuite, nous passons successivement à la théorie de la connaissance, aux principes de la physique, à l'ethique et enfin à la mystique.
Bertrand russell
-
À l'heure où le naturalisme (thèse selon laquelle tout ce qui existe - objets et événements - ne comporte de cause, d'explication et de fin que naturelles) exerce une force philosophique et scientifique grandissante, l'oeuvre de Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) suscite un regain d'intérêt en raison de son mot d'ordre : le retour aux choses mêmes. Merleau-Ponty pose comme originaire l'étude de la perception : le corps n'est pas seulement une chose, qui serait un objet potentiel d'étude pour les sciences ; il est une condition permanente de l'expérience, parce qu'il constitue l'ouverture perceptive au monde et à son investissement. Il y a une coappartenance de la conscience et du corps dont l'analyse de la perception doit rendre compte. Merleau-Ponty rompt avec l'ontologie dualiste de Descartes et l'opposition entre les catégories de corps et d'esprit qui est si prégnante dans certaines sciences aujourd'hui : «C'est dans l'épreuve que je fais d'un corps explorateur voué aux choses et au monde, d'un sensible qui m'investit jusqu'au plus individuel de moi-même et m'attire aussitôt de la qualité à l'espace, de l'espace à la chose et de la chose à l'horizon des choses, c'est-à-dire à un monde déjà là, que se noue ma relation avec l'être.»
-
Archéologie : mot dangereux puisqu'il semble évoquer des traces tombées hors du temps et figées maintenant dans leur mutisme. En fait, il s'agit pour Michel Foucault de décrire des discours. Non point des livres (dans leur rapport à leur auteur), non point des théories (avec leurs structures et leur cohérence), mais ces ensembles à la fois familiers et énigmatiques qui, à travers le temps, se donnent comme la médecine, ou l'économie politique, ou la biologie. Ces unités forment autant de domaines autonomes, bien qu'ils ne soient pas indépendants, réglés, bien qu'ils soient en perpétuelle transformation, anonymes et sans sujet, bien qu'ils traversent tant d'oeuvres individuelles.
Et là où l'histoire des idées cherchait à déceler, en déchiffrant les textes, les mouvements secrets de la pensée, apparaît alors, dans sa spécificité, le niveau des «choses dites» : leur condition d'apparition, les formes de leur cumul et de leur enchaînement, les règles de leur transformation, les discontinuités qui les scandent. Le domaine des choses dites, c'est ce qu'on appelle l'archive ; l'archéologie est destinée à en faire l'analyse.
-
«Les objets en particulier n'épuisent pas leur sens dans leur matérialité et leur fonction pratique. Leur diffusion au gré des finalités de la production, la ventilation incohérente des besoins dans le monde des objets, leur sujétion aux consignes versatiles de la mode : tout cela, apparent, ne doit pas nous cacher que les objets tendent à se constituer en un système cohérent de signes, à partir duquel seulement peut s'élaborer un concept de la consommation. C'est la logique et la stratégie de ce système d'objets, où se noue une complicité profonde entre les investissements psychologiques et les impératifs sociaux de prestige, entre les mécanismes projectifs et le jeu complexe des modèles et des séries, qui sont analysées ici.» Jean Baudrillard.