Littérature
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Si je fermais les yeux, à cet instant, je le verrais, au coeur de cette nuit chaude et venteuse de juillet, debout dans la buanderie, passant avec soin ses mains sous l'eau froide, s'attardant sur ses doigts, sur leurs jointures écorchées. Si je fermais les yeux, je le verrais, dans cette pénombre confuse, mâchoire serrée sur une douleur qu'à onze ans je pressens mêlée d'une fureur sans égale, tandis que sur l'émail blanc de l'évier coule un peu de sang, quelques filaments et volutes rougeâtres qui disparaissent à mesure dans la bonde. Oui, je le verrais, défiant mon regard tendre et désemparé, plongeant ses yeux - dont j'écrirais un jour qu'ils avaient la couleur d'un bronze florentin, la patine d'or sous le bleu carnassier -, ses yeux de père dans les miens, son seul fils, paraissant y chercher ce qui ne s'y trouverait que des années plus tard.
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« Si seulement vous pouviez les entendre quand elles crachent et feulent, quand, d'un bond, elles sortent de leur lit et se rejoignent pour ne plus en faire qu'une seule, plus hargneuse, plus enragée ; si seulement vous pouviez entendre ce raffut, imaginez un peu, quatre rivières tressées entre elles, pareilles aux lanières d'un fouet, cinglantes et froides, douées d'une force dont vous n'avez pas idée et capables d'enjamber les plus hautes digues pour déverser sans un sursaut toute la rage du monde... »
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Le 17 décembre 1953, devant les caméras de télévision, Blaise Cendrars évoque son ami Amedeo Modigliani, disparu en janvier 1920. Quand l'écrivain en vient tout naturellement à parler des nus du peintre, il lâche : « Et le plus beau nu, il l'a fait avec une petite Irlandaise qui était moche comme un sang de punaise... »
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Jack London. Avant tout, un prénom - presque une injonction - qui claque en nos mémoires torpides comme un coup de feu, un fouet déchirant l'air. Un drapeau battant en pleine mer. Jack. Alain Emery convoque tour à tour le flibustier, le vagabond, le mineur, l'écrivain et s'il confronte l'ogre London aux démons qui le pourchassent, il nous laisse entendre ici les battements d'un coeur plus tendre qu'il n'y paraît et déroule - avec une indulgence assumée - le fil d'une vie dont la brève incandescence continue d'éclairer, un siècle plus tard, le ciel de millions de rêveurs.
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Avant que je ne perde l'usage de mes souvenirs et que le temps ne corrompe l'idée que je me fais de la vérité, je voudrais être ces deux mains que joindraient encore autour de leur bouche, s'ils le pouvaient seulement, ceux qui en vain nous ont appelés à l'aide. Je dois porter leur voix. Et faire entendre la mienne. À l'heure des comptes, je me sens comme le passager d'un navire en perdition qu'une montée brutale des eaux surprend dans sa cabine, en plein sommeil. Mon âme, d'ordinaire si mesurée, cède à la panique et suffoque. Je sais que je joue ma vie, cette fois.
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« Tout ce que j'avais, au départ, était une photographie chinée par mes soins, datée de 1929, celle d'une certaine Suzy, réputée danseuse. Un simple cliché et l'envie furieuse d'en découdre, de broder - au fil des tourments du xxe siècle - un destin, une histoire. Je voulais donner chair à du vent. Jeter à l'assaut de nos sentiments une femme résolument libre et moderne, et - parce qu'il faut bien mesurer la force de ses inventions - la confronter un jour ou l'autre à l'inépuisable bêtise humaine ».
Le résultat est un extraordinaire texte court empreint de réalisme, de tendresse et de romanesque infinis. De l'émotion à l'état pur.
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Ces cent nouvelles, écrites entre 2002 et 2016, avec leur timbre singulier, témoignent autant des apprentissages et du chemin parcouru que de la route que je m'efforce de suivre.
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Dans ce recueil de quinze nouvelles, Alain Emery exploite à merveille sa science du texte court pour en dire long sur nos contemporains, engeance qui sait si superbement traverser les époques. Que l'on ne se réjouisse pas trop vite de ces portraits aigres-doux, de ces fichus caractères à La Bruyère, car il se pourrait bien que l'on se retrouve soi-même épinglé sur cette partition pour chevrotine, sous le regard amusé du chef d'orchestre qui nous livre là l'un de ses tous meilleurs opus.
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Le 10 septembre 1896, la jeune Félicie P., domestique, est incarcérée à la maison d'arrêt de Marennes. Elle est prévenue d'infanticide, accusée d'avoir donné la mort à son nouveau-né. Elle laisse derrière elle sa fille Justine, placée deux ans plus tôt à l'Assistance publique.
S'appuyant sur le dossier d'assises et la minutieuse enquête de ses descendants subjugués par ce secret si longtemps occulté sciemment dans la mémoire familiale par Justine elle-même et découvert par hasard un siècle plus tard par ses arrière-petits-enfants, conjuguant la grande et la petite histoire, Alain Emery retrace le parcours de la jeune femme - de ses origines à sa disparition -, dresse un portrait de l'époque et des acteurs de ce drame. Dénonçant les circonstances, il s'attache à rendre figure humaine à cette femme jusque-là oubliée des siens.
Un roman ancré dans la réalité, tissé dans l'obscénité et la cruauté d'un environnement âpre et dur.
Une histoire incroyable et vraie, un fait divers terrible.
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LES NUITS SONT MORTES ET NUL NE CONNAÎTRA PLUS LE JOUR NAISSANT. Il faut transiger avec les éléments, le hasard, le temps, la fatalité. Le 21?juillet 2014, 217?personnes, assises côte à côte, à 10 mètres sous terre, écoutent avec attention les discours inauguraux de L'ANTRE ET DES ARTISTES, un espace culturel souterrain de béton, unique en son genre, avec son dôme-esplanade en damier, dont les cases codées multicolores, reproduisent le message suivant : ÉCLAIRE TA VIE DE LA COULEUR DES MOTS, ÉCRIS TON CHEMIN AVEC L'AUDACE DES ROIS, ÉLÈVE TON OUVRAGE SUR LE SOCLE DE LA PASSION, ET TU PRÉSERVERAS LA SAVEUR DU PASSAGE, L'ESPRIT LIBRE ET SAGE, JUSQU'À L'INSTANT FRAGILE ULTIME, ENCHANTÉ DU MIRACLE D'EXISTER. C'est à ce moment que la catastrophe, tant et tant de fois envisagée, se produit.?Sans préavis.?Un bruit formidable et en quelques secondes, des tonnes de gravats obstruent les issues et toute communication avec l'extérieur est coupée. Comme tout être sensible, chacun des 217 occupants du bunker est affolé, accablé, sidéré, bête aux abois enterrée vivante dans un immense terrier de béton sans aucune issue immédiate. Peut-être sortiront-ils un jour.?Peut-être pas. Auront-ils le courage d'attendre la mort ou un miracle potentiel ? L'espace désormais alloué à leur survie se résume à 3 000 m2 pour une hauteur de plafond de 4 mètres,, soit 12 000 m3 énergétiquement autonomes, répartis ainsi : une grande salle d'exposition accueillant les oeuvres de 28 artistes européens (un par État membre), quatre bureaux spacieux, des toilettes publiques, un accès à une source souterraine d'eau pure - mais pour combien de temps encore ? - , une réserve contenant 78 000 portions journalières de nourriture lyophilisée. Soit un confort pour le moins sommaire et une autosuffisance alimentaire d'une année. La surprise et l'effroi passés, le grondement extérieur étouffé, les 217 personnes se jurent solennellement que, rescapées ou non, elles resteront dignes dans l'épreuve.?Mais la dignité est-elle de mise dans de telles circonstances ? Ils sont les survivants de la catastrophe, et se doivent d'être des survivants créateurs.?Chacun à sa manière, avec son style, témoignera du présent, du passé, du futur hypothétique, de son bonheur d'avoir vécu sur terre ou de sa douleur de la perte des repères et des êtres chers.?Ou peut-être, tout simplement, tracera-t-il la marque de son insondable vanité de puceron éphémère dans un monde terrassé d'avoir été trop loin dans sa folie. Ainsi va la vie, ainsi ira peut-être la mort. Avec ou sans regrets. Ce livre constitue une trace parmi d'autres de cet événement majeur.?Prenez le pour ce qu'il est, l'empreinte instantanée de l'état d'esprit de l'un des témoins de ce moment-clé de l'humanité.
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Si vous me demandiez pourquoi j'ai tenu ce journal - où il n'est question que de géographies intimes, d'âmes et de littérature -, je vous répondrais qu'on ne risque rien à tendre la main, même à de parfaits inconnus. Et qu'après tout, depuis le temps que je leur raconte des histoires, ils ont bien le droit de voir le dessous des cartes. (Alain Emery)
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D'un simple jour à l'autre
Alain Emery
- Jacques Flament
- Paroles De Poetes
- 15 Novembre 2012
- 9782363360687
Quand je tutoie l'aurore, la brume est sur la terre. C'est un chiffon de soie jeté négligemment de l'orée des grands bois jusqu'au coeur des étangs. Mon cuir sur les épaules, je sors à la lumière. De longs souffles sauvages sont passés sur la nuit et s'il n'en reste rien, si je lis dans les arbres une sorte de silence, ce n'est pas pour autant la paix. Au coeur gras des labours, quelques corbeaux - une poignée de diables taillés dans le vif de l'ardoise - font les cent pas. Au-dessus d'eux, la lune s'accroche encore au lait de l'horizon : c'est un oeil grand ouvert qui dépouille l'homme de ses mystères pour le laisser à nu, sans force et sans raison. Comme je reprends ma route, j'entends que brame un cerf. Je m'arrête et j'écoute. Ce long cri rocailleux vient se nouer dans mes chairs. Je suis ce que je suis. Et je vis sur ces terres. Au loin le clocher sonne. D'un pas que je crois sûr, je poursuis mon chemin. Il passe bien à l'écart des routes que l'on me souhaite, de celles que l'on me prête. J'y marche de bon coeur. Je vais rentrer bientôt. Sans doute écrire un peu. Ma force est douce et claire. Je la suis. Je reviens.
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De quelle façon construisons-nous nos existences ? Sur quels secrets reposent-elles ? Que faut-il lire entre nos lignes de vie ? Les personnages de ces nouvelles - un joueur de petits chevaux, une exilée, un cireur de chaussures, un ménage à trois, une arrière petite-fille de princesse russe, un coupeur de têtes et tant d'autres - ont été tantôt gâtés, tantôt trahis par le sort et font tout leur possible pour s'en accommoder. Comme elle le ferait avec des porcelaines, la lumière, celle qu'avec tendresse l'auteur braque sur eux, les traverse et révèle leur fragile architecture : un enchevêtrement d'illusions, de mensonges et d'espoirs. Au travers de ces porcelaines, c'est en fin de compte un peu de notre vérité commune qui transparaît.
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Comme on tente parfois d'assembler les morceaux de bois flotté cueillis à marée basse dans l'estran, j'ai voulu réunir dans cet opus des écrits jusque-là en sommeil dans mes fontes et mes coffres. Si ces textes témoignent d'un chemin et d'une volonté de trente ans, ils sont surtout la preuve et le fruit d'un plaisir intact, que rien ni personne n'est parvenu à altérer. (Alain Emery).
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Une vie plus tard, que reste-t-il ?
L'oeuvre, me direz-vous, qui déjà s'éparpille ; qu'à coup sûr, dans un siècle, les bourgeois couronneront de lauriers et d'acanthes ; l'oeuvre, pareille au couteau laissant la bête à nu, dévoilant la bêtise, les appétits sordides, le ridicule et la lâcheté ; l'oeuvre immense, j'en conviens, comme le sera l'absence. Que tout cela ait jailli d'un coeur simple - dont les battements couvrirent parfois ceux d'un Rembrandt ou d'un Goya -, qui s'en soucie ?
D'une voix généreuse forgée par la fraternité, Alain Emery rend grâce à Honoré Daumier et brosse magnifiquement, au-delà du portrait d'un artiste meurtri par son siècle sanglant, la fresque d'une humanité en proie à d'éternels démons.Mérédith Le Dez -
« Je veux bien vous dire ce que je sais. Parce que je sais que ça ne vous servira pas à grand-chose. La vérité, c'est ce que vous avez au-dessus de vos têtes en ce moment même. Ce ciel limpide et creux. Il peut changer d'un moment à l'autre. Il est vide à cette seconde, mais si j'en crois l'amertume sur mes lèvres, il ne va plus tarder à se charger de foudre et de suie. Et puis vous savez, dans ce qu'on raconte, le plus important, c'est toujours ce qu'on tait. »
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Au-delà des dunes
Désirée Boillot, Alain Emery, Annie Mullenbach
- Nouvelles Paroles
- 6 Avril 2010
- 9782953342727
.une vieille maison au-delà des dunes, un écrivain à la recherche de solitude, une jeune femme énigmatique, une famille maudite, une histoire d'amour atemporelle....