Vendredi 7 novembre. Concarneau est désert. L'horloge lumineuse de la vieille ville, qu'on aperçoit au-dessus des remparts, marque onze heures moins cinq.
C'est le plein de la marée et une tempête du sud-ouest fait s'entrechoquer les barques dans le port. Le vent s'engouffre dans les rues, où l'on voit parfois des bouts de papier filer à toute allure au ras du sol.
Quai de l'Aiguillon, il n'y a pas une lumière. Tout est fermé. Tout le monde dort. Seules les trois fenêtres de l'hôtel de l'Amiral, à l'angle de la place et du quai, sont encore éclairées...
Mentir. Chaque jour. Être surveillé dans ses moindres faits et gestes. Avoir deux soeurs qui lisent dans vos pensées et comptent le moindre centime. Jules Guérec a quarante ans. Il est le frère qui subit. Celui qui cache ses désirs, ses passions. Jusqu'au jour où l'irréparable arrive. Un accident. Le drame. De ces enchaînements de circonstances qui mènent au tragique.Roman de l'intime et de l'égoïsme, roman d'une ville vouée à la mer et au crachin, Les demoiselles de Concarneau est aussi le portrait d'une époque et d'un milieu, celui de la pêche, où l'oeil de Simenon aura su, une nouvelle fois, voir tout ce que l'humanité aimerait tant cacher d'elle-même.
Maigret et la jeune morte Maigret bâilla, poussa les papiers vers le bout du bureau. - Signez ça, les enfants, et vous pourrez aller vous coucher.
Les « enfants » étaient probablement les trois gaillards les plus durs à cuire qui fussent passés par la P. J. depuis un an. L'un d'eux, celui qu'on appelait Dédé, avait l'aspect d'un gorille, et le plus fluet, qui avait un oeil au beurre noir, aurait pu gagner sa vie comme lutteur forain. Janvier leur passait les papiers, une plume, et, maintenant qu'ils venaient enfin de lâcher le morceau, ils ne se donnaient plus la peine de discuter, ne lisaient même pas le procès-verbal de leur interrogatoire, et signaient d'un air dégoûté.
L'horloge de marbre marquait trois heures et quelques minutes et la plupart des bureaux du Quai des Orfèvres étaient plongés dans l'obscurité. Depuis longtemps, on n'entendait plus d'autre bruit qu'un lointain klaxon ou les freins d'un taxi qui dérapait sur le pavé mouillé. Au moment de leur arrivée, la veille, les bureaux étaient déserts aussi, parce qu'il n'était pas neuf heures du matin et que le personnel n'était pas encore là. Il pleuvait déjà, de cette pluie fine et mélancolique qui tombait toujours.
«Permettez que je me présente:Kees Popinga, le satyre d'Amsterdam!»Ruiné! Kees Popinga est ruiné, et il l'apprend de la bouche même de son patron, avant qu'il disparaisse... L'occasion pour lui de prendre la fuite, de devenir une autre homme («corpulence moyenne, signes particuliers néant»!), de venger sa petite vie médiocre. Et de basculer dans le plaisir du crime.
Il avait lâché le journal, qui s'était d'abord déployé sur ses genoux puis qui avait glissé lentement avant d'atterrir sur le parquet ciré. On aurait cru qu'il venait de s'endormir si, de temps en temps, une mince fente ne s'était dessinée entre ses paupières.
Est-ce que sa femme était dupe ? Elle tricotait, dans son fauteuil bas, de l'autre côté du foyer. Elle n'avait jamais l'air de l'observer, mais il savait depuis longtemps que rien ne lui échappait, pas même le tressaillement à peine perceptible d'un de ses muscles.
Hector Loursat boit. Sa femme l'a quitté. Il ne plaide plus. Seule sa fille Nicole, qu'il n'aime pas, partage encore avec lui des repas pris sans un mot dans leur grande maison vide. Dix-huit ans que cela dure, à ne rien faire, retiré du monde.Un soir, pourtant, tout bascule. Découvrir sous son toit un homme tué d'une balle dans le cou tire l'avocat d'une longue peur de vivre. La mort le réveille. Il est seul. Sa fille est une inconnue. Il la croyait sans âme, il découvre une force. Il la croyait docile, c'est une révoltée. Un mystère qui s'ouvre sur un meurtre et toute une ville qui attend. Une ville de notables. De frileux. Une bonne société qui louvoie, qui accuse. Qui aimerait tant pouvoir être hors du coup...
C'était curieux : l'obscurité qui l'entourait n'était pas l'obscurité immobile, immatérielle, négative, à laquelle on est habitué. Elle lui rappelait plutôt l'obscurité presque palpable de certains de ses cauchemars d'enfant, une obscurité méchante qui, certaines nuits, l'attaquait par vagues ou essayait de l'étouffer.
Vous pouvez vous détendre.
Mais il ne pouvait pas encore remuer. Respirer seulement, ce qui était déjà un soulagement. Son dos était appuyé à une cloison lisse dont il n'aurait pu déterminer la matière et, contre sa poitrine nue, pesait l'écran dont la luminosité permettait de deviner le visage du docteur. Peut-être était-ce à cause de cette lueur que l'obscurité environnante semblait faite de nuages mous et enveloppants oe Pourquoi l'obligeait-on à rester si longtemps dans une pose inconfortable, sans rien lui dire ? Tout à l'heure, sur le divan de cuir noir, dans le cabinet de consultation, il gardait sa liberté d'esprit, parlait de sa vraie voix, sa grosse voix bourrue de la scène et de la ville, s'amusait à observer Biguet, le fameux Biguet qui avait soigné et soignait encore la plupart des personnages illustres.
Nouvelle édition en 2019
Quand Maigret descendit du train, en gare de Givet, la première personne qu'il vit, juste en face de son compartiment, fut Anna Peeters. à croire qu'elle avait prévu qu'il s'arrêterait à cet endroit du quai exactement ! Elle n'en paraissait pas étonnée, ni fière. Elle était telle qu'il l'avait vue à Paris, telle qu'elle devait être toujours, vêtue d'un tailleur gris fer, les pieds chaussés de noir, chapeautée de telle sorte qu'il était impossible de se souvenir ensuite de la forme ou même de la couleur de son chapeau.
C'est sans réel plaisir que Maigret voit ressurgir Léon Florentin, son ancien condisciple au lycée Banville, à Moulins, qu'il n'a jamais particulièrement estimé. Quant à l'affaire que lui apporte celui-ci, elle n'est guère ragoûtante non plus : l'assassinat d'une certaine Joséphine Papet, dite Josée, maîtresse de Florentin et de plusieurs autres messieurs d'âge mûr qui lui procurent de quoi vivre, au nombre desquels un haut fonctionnaire, un industriel de Rouen, un Bordelais négociant en vins... Florentin est-il antiquaire, comme il le prétend ? Que font dans son logis du boulevard Rochechouard les économies de Josée ? Faut-il croire qu'il a réellement voulu se suicider en se jetant dans la Seine ? Il y a vraiment des gens qui vous font douter de tout... Entre Montmartre et Notre-Dame-de-Lorette, Maigret débrouille un à un les fils d'une énigme où la respectabilité dissimule la médiocrité, voire le sordide.
Une femme, Hélène Lange, a été étranglée à Vichy. Bien qu'elle y ait vécu neuf ans, personne ne sait rien d'elle. Ni d'où proviennent les coquettes sommes d'argent qu'elle recevait à intervalles réguliers.
Séjournant là pour une cure thermale en compagnie de son épouse, Maigret s'intéresse entre deux promenades à l'enquête de son confrère et ami Lecoeur. Ce dernier n'aura pas grand mal à arrêter l'assassin. Les petits secrets des soeurs Lange, en revanche, lui donneront davantage de fil à retordre...
Comme toujours, Simenon excelle à créer une ambiance, à la rendre palpable. Les kiosques et les jardins de Vichy, les pavillons rococos, le calme teinté d'ennui de la saison thermale forment un parfait contrepoint aux existences, sordides ou pathétiques, qui nous sont finalement révélées.
Il était un peu plus de une heure, cette nuit-là, quand la lumière s'éteignit dans le bureau de Maigret. Le commissaire, les yeux gros de fatigue, poussa la porte du bureau des inspecteurs, où le jeune Lapointe et Bonfils restaient de garde. - Bonne nuit, les enfants, grommela-t-il. Dans le vaste couloir, les femmes de ménage balayaient et il leur adressa un petit signe de la main. Comme toujours à cette heure-là, il y avait un courant d'air et l'escalier qu'il descendait en compagnie de Janvier était humide et glacé.
Vols, suicides, meurtres et disparitions étranges, tel est le quotidien du célèbre commissaire Maigret. Observateur et fin psychologue, Maigret n'a nul besoin de techniciens de scène de crime et autres experts; il lui suffit de se laisser guider par son instinct et sa connaissance de l'homme. Des bars de Pigalle aux pensions de famille, des appartements bourgeois aux squares parisiens, chaque nouvelle enquête est pour lui une manière de s'immerger dans la comédie humaine.
L'Affaire Saint-Fiacre Un grattement timide à la porte ; le bruit d'un objet posé sur le plancher ; une voix furtive:
« Il est cinq heures et demie ! Le premier coup de la messe vient de sonner. » Maigret fit grincer le sommier du lit en se soulevant sur les coudes et tandis qu'il regardait avec étonnement la lucarne percée dans le toit en pente, la voix reprit :
« Est-ce que vous communiez ? » Maintenant, le commissaire Maigret était debout, les pieds nus sur le plancher glacial. lI marcha vers la porte qui fermait à I'aide d'une ficelle enroulée à deux clous. lI y eut des pas qui fuyaient, et, quand il fut dans le couloir, il eut juste le temps d'apercevoir une silhouette de femme en camisole et en jupon blanc.
Alors il ramassa le broc d'eau chaude que Marie Tatin lui avait apporté, ferma sa porte, chercha un bout de miroir devant lequel se raser.
Il y a un quart d'heure à peine que Mme Romond, la grosse toujours en négligé, a lavé son seuil de deux marches et sa portion de trottoir. Si bien que devant sa maison il y a un rectangle bien dessiné de pavés qui paraissent noirs et qui reluisent. La semaine passée, l'agent de police est allé de maison en maison pour rappeler aux gens qu'ils devaient arracher l'herbe entre les pavés et, pendant toute une journée, on a entendu le crissement des couteaux sur la pierre.
Des cris d'enfants éclatèrent dans la cour de l'école d'en face et Élie sut qu'il était dix heures moins le quart. Certaines fois, il lui arrivait d'attendre avec une impatience qui frisait le malaise ce déchirement brutal de l'air par les voix de deux cents gamins jaillissant des classes pour la récréation. On aurait juré que, chaque matin, quelques instants avant ce feu d'artifice sonore, le silence régnait plus profondément sur le quartier comme si celui-ci tout entier était dans l'attente.
Dans la très ancienne ville de Furnes, dans une Flandre tiraillée entre le progrès et les souvenirs du Moyen Âge, le bourgmestre s'impose par son autorité et sa froideur extrême. C'est un personnage que le doute n'effleure pas, un monstre ordinaire cloîtrant chez lui sa fille handicapée, un homme qui refuse la moindre charité. L'avait-on aidé lui ? Lui avait-on fait le moindre cadeau ? Jamais. À son tour, il regarde ses semblables comme on regarde quelque chose, n'importe quoi, un mur ou la pluie qui tombe, semant tout autour de lui la peur et les larmes. Ce même homme pourtant, un jour, se met à changer doucement. Plus personne ne le reconnaît... Que s'est-il passé ?
Seule Edmonde, sa secrétaire, connaît le terrible secret qui ronge l'industriel Joseph Lambert. Elle était dans la voiture. Elles sait pourquoi Lambert, distrait, a laissé le véhicule rouler au milieu de la chaussée. Et quel drame atroce a résulté d'un moment d'égarement sensuel...
Elle ne dira rien. Quant à Joseph, c'est en vain qu'il cherchera le réconfort auprès de Nicole, sa femme, avec qui il n'a jamais eu de contact réel, ou de la facile Léa, sa maîtresse occasionnelle. Pas plus qu'à son frère, qui dirige avec lui l'entreprise familiale, il ne peut leur dire la vérité.
Ce huis clos d'un homme face à ses remords - et à ce qu'il persiste à ressentir comme une injustice du sort -, Georges Simenon nous le fait vivre de l'intérieur, avec une vérité psychologique et une intensité dramatique qui en font sans conteste un de ses plus inoubliables romans.
" Lorsqu'on demande à Jonas Milk, le petit bouquiniste et philatéliste du Vieux-Marché, où est passée sa jeune et jolie femme Gina, il répond évasivement qu'elle est allée à Bourges. Mais à mesure que les jours passent, cette réponse apparaît de plus en plus insuffisante ; et bientôt les ragots, les soupçons, l'hostilité de toute la ville se concentrent autour du petit homme d'Arkhangelsk, Russe naturalisé français, mais finalement resté aux yeux de tous l'étranger "...
Jonas est innocent, pourtant. Mais il faut croire qu'il appartient à un monde où les innocents sont faits pour devenir des victimes...
Le créateur de Maigret, disparu en 1989, nous conte ici à petites touches, en observateur attentif des moeurs provinciales et de la nature humaine, un drame de la solitude. Sans lyrisme ni pathétique, il nous fait partager sa compassion. On se dit en refermant le livre que l'on a dû aussi, sans le savoir, côtoyer des Jonas Milk. "
Alors que le couple Maigret se repose quelques jours aux Sables-d'Olonne, Mme Maigret est victime d'une crise d'appendicite. A l'hôpital où elle est soignée, une religieuse implore le commissaire de s'intéresser à « la malade du 15 ».
Dans quelles circonstances cette jeune femme est-elle tombée de la voiture que conduisait son beau-frère, le Dr Philippe Bellamy ? Pourquoi ce dernier semble-t-il faire si peur à la jeune Lucile Duffieux, une gamine de quatorze ans qui sera assassinée peu après ? Qu'est devenu Emile, son frère aîné, parti pour Paris où il n'est jamais arrivé ?
Et Maigret d'oublier ses vacances. Entre deux visites à l'hôpital, il va percer à jour une de ces passions morbides qui peuvent naître au sein d'une vie en apparence aussi calme et équilibrée que celle du Dr Bellamy...
Ma chère maman, Voilà trois ans et demi environ que tu es morte à l'âge de quatre-vingt-onze ans et c'est seulement maintenant que, peut-être, je commence à te connaître. J'ai vécu mon enfance et mon adolescence dans la même maison que toi, avec toi, et quand je t'ai quittée pour gagner Paris, vers l'âge de dix-neuf ans, tu restais encore pour moi une étrangère. D'ailleurs, je ne t'ai jamais appelée maman mais je t'appelais mère, comme je n'appelais pas mon père papa. Pourquoi ? D'où est venu cet usage ? Je l'ignore.
Quand je me suis éveillé, les rideaux de toile écrue laissaient filtrer dans la chambre une lumière jaunâtre que je connaissais bien. Nos fenêtres, au premier étage, n'ont pas de volets. Il n'y en a à aucune maison de la rue. J'entendais, sur la table de nuit, le tic-tac du réveille-matin et, à côté de moi, la respiration scandée de ma femme, presque aussi sonore que celle des patients, au cinéma, pendant une opération.
Elle était alors enceinte de sept mois et demi.
Dans le flot de voyageurs qui coulait par saccades vers la sortie, elle était la seule à ne pas se presser. Son sac de voyage à la main, la tête dressée sous le voile de deuil, elle attendit son tour de tendre son billet à l'employé, puis elle fit quelques pas.
Quand elle avait pris le train, à Bruxelles, il était six heures du matin et l'obscurité était lourde de pluie glacée. Le compartiment de troisième classe était mouillé lui aussi, plancher mouillé sous les pieds boueux, cloisons mouillées par une buée visqueuse, vitres mouillées, dedans et dehors. Des gens aux vêtements mouillés sommeillaient.
A huit heures, juste à l'arrivée à Hasselt, on éteignit les lampes du convoi et celles de la gare. Dans les salles d'attente, les parapluies perdaient des rigoles d'eau fluide qui sentait la soie détrempée. Autour des poêles, des gens se séchaient et ils étaient presque en noir, comme Edmée. Etait-ce un hasard ? Le remarquait-elle parce qu'elle était en grand deuil ?
Georges Simenon, écrivain belge de langue française, est né à Liège en 1903. Il est l'un des auteurs les plus traduits au monde. À seize ans, il devient journaliste à La Gazette de Liège. Son premier roman, publié sous le pseudonyme de Georges Sim, paraît en 1921 : Au pont des Arches, petite histoire liégeoise. En 1922, il s'installe à Paris et écrit des contes et des romans populaires. Près de deux cents romans, un bon millier de contes et de très nombreux articles sont parus entre 1923 et 1933... En 1929, Simenon rédige son premier Maigret : Pietr le Letton. Lancé par les éditions Fayard en 1931, le personnage du commissaire Maigret rencontre un immense succès. Simenon écrira en tout soixante-quinze romans mettant en scène les aventures de Maigret (ainsi que vingt-huit nouvelles). Dès 1931, Simenon commence à écrire ce qu'il appellera ses « romans durs » : plus de cent dix titres, du Relais d'Alsace (1931) aux Innocents (1972). Parallèlement à cette activité littéraire foisonnante, il voyage beaucoup. À partir de 1972, il cesse d'écrire des romans. Il se consacre alors à ses vingt-deux Dictées, puis rédige ses Mémoires intimes (1981). Simenon s'est éteint à Lausanne en 1989. Il fut le premier romancier contemporain dont l'oeuvre fut portée au cinéma dès le début du parlant avec La Nuit du carrefour et Le Chien jaune, parus en 1931 et adaptés l'année suivante. Beaucoup de ses romans ont été portés au grand écran et à la télévision. Les différentes adaptations de Maigret ou, plus récemment, celles de romans durs (La Mort de Belle, avec Bruno Solo) ont conquis des millions de téléspectateurs.